Bal de l'Anniversaire de l'Indépendance 1456

La jeune bretonne se laissa entraîner dans un tourbillon de rubans. Elle fendait l'air avec une grâce infinie. Au hasard d'un mouvement, elle croisa le regard de la sénéchale marquisale à laquelle elle adressa un ravissant sourire.
Quand le Marquis se mit à lui parler, elle l'écouta avec attention et lui répondit :

_ "Oh, vous savez Votre Altesse, il m'étonnerait fortement que les rumeurs provençales parviennent jusqu'à la Bretagne où elles pourraient me faire du tord. Je ne suis ici qu'en voyage pour mon fils et il m'importe peu d'être le centre d'intérêt de vieilles radoteuses ou de jalouses princesses. J'espère néanmoins que les propos tenus à mon encontre ne salissent pas le nom de ma famille, sans quoi je devrais y répondre."

Tout de même intriguée par les paroles de Lordfear, Driweg demanda doucement :

_ "Pourriez-vous me dire ce qui se raconte ?"

Driweg fronça furtivement les sourcils lorsque Lordfear évoqua brièvement son passé peu glorieux. Alors comme ça, Sa Majesté fut libertin ? Ce n'était pas très difficile à croire en fin de compte. Le Marquis était un beau jeune homme qui semblait plein d'intelligence.
Alors qu'un mouvement de bras la ramenait contre Lordfear, la jolie blonde souffla :

_ "Partageons ces vilaines rumeurs alors. Disons que la moitié parle de vous et de votre passé, et que l'autre moitié parle de moi et de mon teint atrocement pâle. Voilà qui est moins lourd.
Si je puis me permettre, je suis étonnée de savoir que vous n'êtes point épousé. J'imagine bien que Votre Altesse ne peut se permettre de se marier avec celle à qui va son coeur. Les mariages de raison sont plus souvent de coutume dans les hautes sphères. Je dois bien avouer que je suis une chanceuse. Mon père m'a permis d'épouser l'homme que j'aime, quand bien même il ne constituait pas ce que l'on peut appeler un "bon parti" pour notre famille. J'imagine que vous devez avoir de nombreuses propositions de mariage de raison avec des princesses françaises, aragonaises ou de contrées bien plus éloignées encore."

Driweg eut un sursaut en croyant voir une ombre passer sur le visage de son cavalier. Elle ajouta bien vite :

_ "Mais je suis bien trop bavarde ! Je vous présente mes excuses. Quant à mon séjour, ma foi, je suis arrivée il y a seulement quelques heures et me voilà déjà en train de danser avec le Souverain du pays. Comment aurait-il pu mieux commencer que cela ?"

Driweg sourit en entendant Lordfear parler avec autant de respect de son père. Elle ne put que renchérir :

_ "Je suis bien aise de savoir que vous pensez tout ce bien de mon précieux père. Je suis moi-même face à lui en constat état d'émerveillement et tout ce qu'il me dit prend l'envergure d'un commandement divin que j'ai plaisir à exécuter."

Puis elle hocha la tête en guise remerciement pour le pseudo-compliment sur ses yeux et ajouta :

_ "Je tempère à mon tour vos propos : vous n'êtes pas si mauvais danseur que vous voulez le laisser entendre. Et puis, tout le monde sait danser au fond. La dance est comme la vie. On va, on vient, on tourne, on soutient, on est soutenu..."

A l'évocation de la Sénéchale, la jeune bretonne eut un nouveau sourire :

_ "La Dame Pazzi est venue à moi se présenter au banquet. Sans pour autant la connaître, cette femme m'inspire beaucoup de confiance. Je crois que nous pourrions être amies si le temps le permettait."

La jolie blonde virevolta encore une fois et finit par poser une question qui lui brûlait les lèvres :

_ "Votre Majesté, vous ignorez peut-être que j'occupe fièrement la charge de héraut en Bretagne. Je me demandais si, éventuellement, je pourrais visiter les bureaux de votre Hérauderie..."

Driweg sembla enchantée par la réponse que lui donna le Marquis.

_ "Je ne pouvais espérer avoir plus de chance ! J'ai beaucoup entendu parler du Comte de Menton, en bien, évidemment. J'aurais grand plaisir à converser avec lui."

La baronne tourna grâcieusement sur elle-même après deux petits pas de coté et revint tout contre Lordfear, au gré de la danse. A se tenir si proche d'un homme comme cela, Driweg eut une pensée triste pour son époux. Il devait être dans son grand château, à crouler une montagne de parchemins relative à sa charge de Juge de Bretagne, malade et seul, alors qu'elle, elle était en train de danser sous le regard d'une trentaine de nobles de toutes contrées vernus festoyer. Elle eut un sentiment de culpabilité. Elle aurait voulu plier ses bagages et rentrer sur le champ pour être auprès de l'homme qu'elle aimait. Mais le protocole, mais la bienséance... mais le visage enjoué de son fils en train de la regarder danser.
La vision de son fils adoré en train de s'amuser effaca tous ses doutes. Ses grands yeux s'emplirent d'amour pour lui et elle sourit.

_ "Je pourrais peut-être vous présenter Riwan Nathan plus tard. C'est grâce à lui que je me trouve ici en si bonne compagnie."