La journée touchait à sa fin. Le voiturier retenait sa charrette chargée de chanvre roui en descendant la rue Kalanquin. Il poursuivit par la rue de la Bouquerie, laissant derrière lui les beaux quartiers et pénétra dans l'Estel. Le pavage de la rue devint irrégulier et les roues de sa carriole s'engluèrent dans la fange qui envahissait le milieu de la voie et son chargement versa. Pestant, il alla constater les dégâts.
Autour de lui, la rue était pourtant animée, mais la foule qui se pressait entre les maisons basses de bois, marchant au plus près des façades et évitant les volets des échoppes sur lesquels étaient entassées les marchandises passait indifférente. Seul un groupe de gamins qui pataugeait dans une flaque noirâtre d'une étroite venelle adjacente jonchées d'immondices, avait interrompu ses jeux et le regardait.
Il les héla :
Eh! les galapiats! Un denier pour vous tous si vous m'aidez à désembourber ma roue et à ramasser tout ça!
Les petits se précipitèrent, apportant d'un tas de détritus au pied d'une façade en pisé quelques planches qu'ils glissèrent sous la roue, tandis que le voiturier, tout en jetant des regards soupçonneux à tous ceux qu'ils croisaient de crainte de se faire voler quelques bottes de chanvre parmi celles qui s'étalaient dans la boue, poussait la carriole et la dégageait de son carcan de fange.
Allez vite! chargez ça! Le cordier attend sa livraison...
La piécette jetée aux gamins qui disparurent aussitôt, il poursuivit son chemin en hâte, attentif aux irrégularités de la voie. Pas question de s'attarder à l'Estel la nuit tombée! Le guet ne s'aventurait guère au-delà de la rue centrale, le lacis de ruelles au tracé rendu irrégulier par les constructions anarchiques se prêtant trop facilement aux attaques nocturnes. Heureusement, l'échoppe du cordier n'était pas loin. Il pourrait rejoindre son village avant la fermeture des portes...
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Hersende de Brotel