Arrivée de l'Archevêque suffragant d'Avignon

L'attelage qui avait conduit l'ecclésiaste avignonnais de la paroisse de Montélimar à la ville d'Avignon s'immobilisa près du pont éponyme. En descendit un homme d'un certain âge à l'allure rigoriste et pieuse. Vêtu d'une soutane noire, brodée d'un fin fil d'argent pour toute parure, l'Archevêque suffragant d'Avignon posa les pieds sur le sol provençal pour la première fois depuis de nombreuses années. Lissant sa barbe poivrée sel, entretenue avec discipline et lui conférant enfin la sagesse de ses années, il s'avança de quelques pas afin d'admirer la vue de la ville et du majestueux Rhône. Le claudiquement de sa canne cognant contre le roc du pont annonça son arrivée plus sûrement que tout héraut.

Il avança doucement, allant à l'encontre des membres du guets qui géraient les accès à la cité. Saluant l'un d'entre eux de manière amicale et informelle, il se présenta en ces mots:

- Bien le bonjour Messire, je suis Monseigneur Navigius di Carrenza, le nouvel Archevêque suffragant d'Avignon. Auriez-vous l'amabilité de me renseigner sur les divers débits de boissons et estaminets dans lequels je suis susceptible de rencontrer mes chers paroissiens?

Souriant, il attendit une réponse son interlocuteur.

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Un cheval portant un homme en uniforme aux armes marquisales passa par la porte du château, au moment où le garde allait répondre, son trot rapide se muant en galop dès qu'il atteignit les premières arches du pont. Un très jeune homme s'avança pour le regarder s'éloigner. L'attitude déférente du garde de l'octroi paraissait surprenante au regard du jeune âge et de la mise simple quoique de bonne facture du garçon.

Celui intercepta les paroles du prélat et s'inclinant très respectueusement devant lui, lui dit :

Monseigneur, nous sommes flattés de l'honneur que vous nous faites en nous accordant votre présence. Avignon regorge d'auberges mais je suppose que Sa Majesté serait ravie de vous accueillir personnellement dans notre bonne ville, comme la première de vos paroissiennes.
Je me présente : Yvain, secrétaire particulier de Sa Majesté Hersende de Brotel, Marquise des Alpes Occidentales.
Acceptez-vous de vous rendre au château, Monseigneur? demanda-t-il en désignant la masse imposante qui s'élevait sur le rocher du Dom. Voulez-vous que je fasse venir une voiture?

L'ecclésiaste avignonnais vit que le garde allait balbutier quelques explications quand un jeune gringalet se présenta à lui comme étant le secrétaire particulier de Sa Majesté la Marquise. Le prêtre hocha de la tête, se rappelant la coutume qui voulaient que de jeunes personnes de bonne famille soient envoyées dans le service des puissants de ce monde afin de parfaire leur éducations et leur réputation. Lui même s'était toujours fait un point d'honneur d'utiliser ces fonctions pour promouvoir des gens humbles issus du peuple, ce qui lui avait valu bien des critiques de la part d'une frange altière de la noblesse de France. Jaugeant du regard le jeune homme, et rassuré par la livrée qu'il portait, il l'accueilli amicalement, avec le naturel désarmant qui désemparait souvent ceux qui s'attendaient à un homme empourpré dans ses propres fonctions.

- Ah! Jeune messire Yvain, permettez-moi de me présenter à vous, je suis Monseigneur Navigius, votre nouvel Archevêque en Avignon. De grâce, en dehors des oeuvres protocolaires, appelez -moi Navigius, je tiens en horreur ce titre qui m'éloigne de nos concitoyens.

On l'invita à se rendre au château, ce qui contrecarrait un peu ses plans, lui qui comptait en surprendre plus d'un en taverne avec une actualisation de l'hagiographie de Saincte-Boulasse. Depuis des années qu'il travaillais sur le sujet, ayant perfectionné la théorie en compagnie de feu Monseigneur Lapinus de Cardaillac et de Feue Monseigneur Wilgeforte de Toretta-Granitola. Délaissant ces plans pour le moment, il répondit par l'affirmative.

- Et bien, cher Yvain, je veux bien vous suivre au château, mais si vous le permettez, marchons, j'aime bien me faire une idée d'une cité en déambulant en ses rues. Qui plus est, voilà qui risque de vous permettre de me raconter un peu tout l'honneur que vous fait ressentir votre position. Vous devez vous sentir très chôyé de pouvoir servir auprès d'une personne de la qualité de Sa Majesté la Marquise, n'est-ce pas?

La conversation, et la marche, était désormais engagée.

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Yvain s'inclina lorsque l'archevêque se présenta. Même s'il fut surpris de son attitude peu protocolaire,en jeune homme déjà bien formé aux caprices des grands, il n'en laissa rien paraître.

Eh bien marchons donc... Navigius, reprit-il en l'invitant à l'accompagner le long de la rue principale qui de la porte Saint Benezet s'enfonçait vers le coeur de la cité.

Superbement pavée, la rue Kalanquin était bordée d'hôtels particuliers qui rivalisaient d'opulence. Le quartier de Lunel, quartier noble d'Avignon, principalement habité par les courtisans et fonctionnaires marquisaux, était la première vision que l'étranger avait de la ville et lui prouvait sans conteste son statut de capitale du Marquisat.
Mais bientôt, le jeune homme s'engagea dans une rue perpendiculaire qui conduisait vers la place du 22 novembre et au delà, par une calade empierrée à la pente assez marquée, vers le palais.

Ralentissant le pas pour que le prélat puisse le suivre, le jeune homme lui expliqua :

Je n'ai acquis ma position que grâce à mon travail et à la bienveillance de la Marquise, Mons... Navigius. Lorsqu'elle était présidente de la Cour Suprême, il y a quelques années, elle m'a pris à son service car elle appréciait mon écriture. Petit à petit, elle m'a confié davantage de responsabilités et depuis près de trois ans, maintenant, j'exerce les fonctions de secrétaire particulier auprès d'elle. Je mesure l'honneur que j'ai de bénéficier de sa confiance, moi qui ne suis rien.

Les deux hommes entreprirent donc de marcher vers la porte Saint Benezet, magnifique ouvrage qui témoignait de la qualité des maçons qui avaient construit la Cité des Papes. Il suivi le jeune garçon d'un bon pas, maintenant la cadence mais sans se presser, dégustant la beauté de l'endroit. L'italien se sentait toujours un peu mal à l'aise en Provence, un sentiment qui ne faisait qu'augmenter à chaque minute, tant il avait longtemps été en territoire de la Couronne Française. Lorsque le jeune homme s'exprima, il répondit avec finesse et sagesse :

-Ne doutez jamais, cher ami, que tout homme doit son avancement à sa propre industrie. Les faveurs qui sont placées sur son chemin ne sont que des coups de pouces envoyés par le Très-Haut. Soyez heureux d'avoir obtenu si belle position, c'est bien preuve que vous êtes homme de qualité. En tant que Secrétaire, vous côtoyez Sa Majesté depuis longtemps, sauriez-vous m'informer sur sa personnalité?

Il redoutait la rencontre, depuis sa nomination.

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L'archevêque semblait malgré son âge fort vaillant et suivait sans peine le pas leste d'Yvain alors qu'ils s'élançaient tous deux à l'assaut du chemin conduisant au palais. L'imposant édifice dont les tours s'élevaient gracieusement sur le ciel bleu pâle les dominait maintenant de toute sa hauteur.

La question de l'archevêque embarrassa Yvain. La Marquise lui avait toujours témoigné sa bonté et il lui vouait une réelle affection. Il lui semblait impudique de dévoiler sa personnalité à un étranger. Mais il se devait de répondre...

Sa Majesté est une souveraine entièrement dévouée à son peuple et à l'Eglise, Mons... Navigius. Décidément il lui était difficile de renoncer au protocole... Elle a une grande puissance de travail et attend en général la même chose des personnes de son entourage. Mais il m'est difficile de parler d'elle... Je pense que le plus souhaitable est que vous fassiez sa connaissance. Je ne doute pas qu'elle vous reçoive immédiatement!

La pente devenait moins raide et l'esplanade devant le palais paraissait à leurs yeux. Yvain héla un garde :

Eh toi! Va annoncer à la Marquise la visite de Monseigneur Navigius di Carrenza, archevêque suffrageant d'Avignon.

L’italien garda le pas, cachant assez bien la fatigue montant dans ses jambes alors qu’ils défilaient dans Avignon, cité qui à cette époque avait retrouvé, sous le Marquisat, le luxe et l’activité d’une capitale, comme ce fut le cas quand les papes y résidaient. Lorsque le jeune secrétaire lui répondit, le prélat reconnu une réponse prudent, hochant de la tête en se disant que la Marquise s’entourait de gens discrets et circonspects, une excellente chose qui faisait certes contraste avec la Cour de France, du moins du temps de Lévan III.

- Fort bien, fort bien. Je crois que je ferai sa connaissance assez rapidement, si je me fie à l’allure que nous maintenons. Quoi que je ne sois pas maris qu’elle me fasse patienter, une Marquise doit sans nul doute être occupée.

Il cheminèrent, ensemble, vers la rencontre.

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Yvain comprit l'allusion de l'archevêque. Celui-ci commençait à ralentir dans la montée, regardant autour de lui comme pour contempler la ville qu'ils commençaient à dominer, mais sans doute pour reprendre son souffle.

Si vous le souhaitez, vous pouvez profiter d'un superbe point de vue un peu plus haut, Navigius. Il y a une petite place en retrait de la calade avec une fontaine qui fournit de l'eau fraîche. Voulez-vous que nous nous arrêtions quelques instants? Je profiterai de la halte pour courir au château annoncer votre arrivée.

Effectivement, alors que la rue faisait un coude, apparut une minuscule place qui s'ouvrait entre les maisons resserrées. Une doux clapotis provenait d'une tête de lion encastrée dans un mur qui laissait par la gueule entrouverte de l'animal paraître un clair filet d'eau qui s'écoulait dans une vasque dont les bords invitaient le promeneur à s'assoir.
Les rayons du soleil encore bas sur l'horizon éclairaient d'une lumière dorée les hôtels particuliers du quartier qu'ils venaient de quitter, dessinaient le contour des remparts et, au-delà de la porte, soulignaient les arches du pont qui enjambait le Rhône.
La vue était magnifique...

L'italien, haleta légèrement, hocha de la tête devant l'offre d'une petite pause. Sitôt arrivé à la fontaine, il regarda le jeune homme filer vers le château prévenir la Marquise.

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S'étant assuré que le prélat était confortablement installé, Yvain prit ses jambes à son cou et courut au palais.

Il en revint quelques instants plus tard, le souffle un peu court et annonça :
Sa Majesté vous attend, Navigius.

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